La stratégie des antilopes, Jean Hatzfeld (2007)

La stratégie des antilopes, Jean Hatzfeld (2007)

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La-stratégie-des-antilopes-poche« Un matin brûlant de mai 2003, une file de prisonniers franchit les portes du pénitencier de Rilima, en chantant des alléluias. Ces anciens tueurs rwandais viennent d’être libérés, à la surprise de tous, notamment des rescapés qui les regardent s’installer à nouveau sur leurs parcelles, à Nyamata et sur les collines de Kibungo ou Kanzenze. »

À l’indicible — un génocide qui aura fait près de 800.000 victimes en trois mois — vient s’ajouter cet incroyable retournement : la « réconciliation », ce destin qui « les contraint, sur un territoire surpeuplé, à reprendre les mêmes rôles ». Génocidaires et rescapés doivent à nouveau vivre ensemble, redevenir voisins, collègues et faire des affaires ensemble, jouer au foot ou se côtoyer dans les cabarets autour d’une Primus. « Que se dire ? Comment dialoguer sur ce qu’ils partagent désormais, sur cette tentative presque aboutie d’extermination ? »

Le journaliste et écrivain Jean Hatzfeld est fasciné par le génocide rwandais ; il y a consacré de longs séjours, a lié de solides amitiés avec les habitants de Nyamata, et en a ramené quatre livres (dont le tout dernier, Englebert des collines, est sorti récemment chez Gallimard), labourant sans cesse le sujet, creusant à chaque fois sous un nouvel angle.

Avec La stratégie des antilopes, le troisième, il retourne au pays, et reprend son cheminement. Il interroge des victimes, mais aussi les tueurs qui « coupaient » dans les marais et qui maintenant se saluent en se croisant sur la route. Jean Hatzfeld laisse la parole des protagonistes, aux récits de Claudine, Pancrace, Ignace, Angélique, Innocent, Pio, Eugénie, Francine, Sylvie, Berthe, Elie ou encore Léonard qui raconte : « On ne considérait plus les Tutsis comme des humains, ni même comme des créatures de Dieu. On avait cessé de considérer le monde comme il est, je veux dire comme une volonté de Dieu. Ça nous était aisé de les supprimer. »

Pas de réponses, évidemment, seulement des pistes, des bribes que le lecteur assemble au fil des témoignages. La stratégie des antilopes ne peut apporter d’explication à ce qui est inexplicable, mais offre une plongée, parfois vertigineuse, dans la vie bouleversée des habitants de ce bout de terre africaine, à leurs pensées intimes, personnelles, sur cette tragédie complexe et unique.

Dans le dernier chapitre, Que ramène-t-on de là-bas ?, Francine Niyitegeka dit : « Avec l’âge, les cicatrices perdent trace sur ma peau (…) Le temps m’est gentil. Mais si je suis soulagée, je ne suis jamais calme (…) Cette personne, si son esprit a acquiescé à sa fin, si elle s’est vue ne plus survivre à une étape, elle s’est regardée vide en son for intérieur, elle ne l’oublie pas. Au fond, si son âme l’a abandonnée un petit moment, c’est très délicat pour elle de retrouver une existence. »

Et le titre ? Il fait référence aux fuites éperdues dans les marais, aux groupes et familles se dispersant dans toutes les directions, comme des animaux, pour échapper aux coups de machettes des chasseurs…

John, bibliothécaire

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La stratégie des antilopes, Jean Hatzfeld (Seuil, 2007).
Prix Médicis 2007.